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24 août 2016

Interview du JDD Isabelle Adjani : "J'ai trouvé la polémique sur le burkini ridicule et dangereuse "








Avant "son grand retour demain " au festival d'Angoulême, une interview sans langue de bois d'Isabelle pour le JDD


 

Isabelle Adjani : "J'ai trouvé la polémique sur le burkini ridicule et dangereuse"


INTERVIEW - Isabelle Adjani qui joue dans un film inspiré de la tragédie des suicides à France Télécom se confie. Et livre sa colère contre Monsanto, les réseaux sociaux, "le lexique des politiques", la controverse du burkini et... François Hollande.
                                      
 
Photo  : Michael Crotto
                     
Isabelle Adjani, héroïne de "Carole Matthieu", nouveau film de Louis-Julien Petit. (Michael Crotto)
Elle rentre tout juste d'une retraite dans l'Aveyron. Les destinations lointaines, très peu pour elle : "L'exotisme est une fuite, certainement pas une promesse de repos" remarque Isabelle Adjani derrière ses lunettes noires. Elle les enlèvera dès le début de l'interview pour dévoiler son regard bleu azur immortalisé par André Téchiné, Andrzej Zulawski, Patrice Chéreau, James Ivory… D'elle, François Truffaut a dit : "Elle est la seule actrice qui m'a fait pleurer. Il faudrait la filmer tous les jours, même le dimanche." Dans ce bar raffiné d'un palace parisien, elle se montre naturelle, vive pour aborder une foule de sujets : sa carrière, son enfance, ses engagements, la dictature du virtuel et bien sûr son nouveau film, Carole Matthieu. Elle y incarne une médecin du travail confrontée à une vague de suicides dans une grande entreprise. Un drame social réalisé par Louis-Julien Petit (Discount) et adapté du livre de Marin Ledun, Les Visages écrasés (Seuil), qu'elle dévoilera la semaine prochaine au Festival d'Angoulême.
Ce film, c'est une manière de communiquer vos convictions comme avec "La Journée de la jupe"?
Une forme d'engagement, oui. Là, il s'agit d'un thriller social très réaliste, avec du suspense, mais aussi un symbolisme et une touche de fantastique. Il met en lumière le monde des invisibles. Le réalisateur est fasciné par ces entreprises totalitaires où le flicage, le harcèlement et l'humiliation sont érigés en méthode de management. Les salariés sont de simples variables d'ajustement. La plupart n'ont d'autre choix que de se battre pour un poste déshumanisant. Une logique kafkaïenne largement inspirée par l'affaire des suicides à France Télécom.

"Je pensais sincèrement être destinée à œuvrer pour les autres"

Vous êtes productrice associée. Actrice ne vous suffit plus?
Sur un plateau, je suis pleinement soldate comédienne. En même temps, je n'aime pas trop que l'on me donne des ordres, sauf s'ils viennent d'un génie. Mais ils se font de plus en plus rares, ou alors très occupés… Acheter les droits du livre permet d'être associé à un projet pour tout acteur ou actrice. J'aime travailler avec les gens, pas pour les gens. Dans le film, je joue un personnage assez trouble, un ange, mi-exterminateur, mi-rédempteur, une médecin du travail entièrement dévouée à sa mission… au point de se cuirasser et de passer à côté de sa vie de femme.
«Grandir dans une cité HLM de Gennevilliers a nourri surtout une empathie épidermique»
Cette dévotion fait-elle écho en vous?
Ah oui! Un écho très lointain. Grandir dans une cité HLM de Gennevilliers a nourri surtout une empathie épidermique. J'ai vu de près la détresse des gens au quotidien, le travail écrasant, mais aussi la solidarité et les luttes pour le progrès social. Il existait alors un espoir en marche porté par des idéaux qui soudaient les gens au-delà des communautés. Je me souviens d'un journaliste de L'Humanité qui habitait en face de mon HLM. J'allais me réfugier chez lui, les idées fusaient, sa femme organisait des manifestations, ils m'emmenaient voir Sacco et Vanzetti. J'étais toute jeune fille et je pensais sincèrement être destinée à œuvrer pour les autres, comme une humanitaire…
Une vraie Mère Teresa!
Une vague copie miniaturisée. À 12 ans, j'avais organisé dans l'aumônerie de mon collège une collecte en pleine guerre du Biafra. Résultat, j'ai redoublé ma 6e. Mes parents en étaient malades, mais j'avais été bouleversée par les images d'enfants décharnés. Et puis, je suis tombée dans l'amour de la littérature, qui m'a déroutée… Le service rendu aux autres s'est réalisé à travers un transfert artistique, émotionnel, affectif. Devenir actrice était alors une transgression et une libération.
Pour quelles raisons?
J'ai été élevée dans la discrétion, l'introversion, l'effacement. À la maison, le mot d'ordre était : "Ne t'expose pas, pas de vague…" Si j'avais le malheur de me regarder dans une glace, mon père disait : "Sors, tu vas salir le miroir." J'ai vécu avec une immense pudeur imposée. Le plus douloureux fut sans doute de ne pas avoir pu le sauver de lui-même, de son mal-être, même s'il avait sa lucarne de lumière. Il adorait recueillir des animaux abandonnés, des chiens, des chats. Ma mère en devenait folle. Une fois, nous avons même relâché un mulot au milieu des champs.
«C'est important de rester jeune dans sa tête, sinon plus de désir, plus d'élan vital et la libido de la vie finit dans les toilettes»

"J'ai des côtés très enfantins qui ne changeront pas"

Votre agent américain a dit un jour : "On pourrait définir aussi la carrière d'Isabelle Adjani en organisant un festival des films qu'elle a refusés."
C'est marrant et ce n'est pas faux. Je n'ai jamais voulu sacrifier ma vie personnelle pour ma carrière. Je trouve le mot oppressant. Je préfère parler d'un parcours avec des interruptions de vie, pour la vie, à cause ou grâce à la vie. Sur ce point, Christophe [le chanteur] et moi sommes sur la même longueur d'onde. Lui aussi réfute le mot "carrière". Il suit un chemin où l'on se croise parfois… Le temps semble n'avoir aucune prise sur lui. Il reste ce jeune homme prêt à tomber amoureux à tout moment. Il doit avoir la même anomalie géniale qu'Einstein. Si si, ce n'est pas une blague. Après sa mort, des scientifiques ont disséqué son cerveau pour constater une absence totale de vieillissement sur le plan neuronal. D'où cette espèce de perpétuelle juvénilité. C'est important de rester jeune dans sa tête, sinon plus de désir, plus d'élan vital et la libido de la vie finit dans les toilettes. L'âge chronologique est une infamie, une saloperie même, une connerie aussi.
Quel serait votre âge mental?
Ça dépend des jours! Je n'ai pas d'âge fixe, plutôt des variations psycho-affectives. J'ai parfois l'impression d'être bicentenaire, c'est le spleen… Et puis j'ai des côtés très enfantins qui ne changeront pas même quand je serai une vieille pomme! Heureusement, grâce à Google, le commun des mortels accèdera bientôt à la vie éternelle! C'est terrifiant. Lisez L'Homme nu, de Marc Dugain, sur la dictature invisible du numérique. Vous ne serez plus le même après. Voilà un bouquin qui vous change pour le pire.
Vous n'êtes pas une geek?
Je n'ai aucun profil Facebook, Twitter ou Instagram. Je n'ai pas envie de devenir dingue, ni d'être référencée ; ça va, en tant que célébrité. Je suis si triste quand je vois les enfants se livrer en pâture sur les réseaux sociaux, s'exposer à l'humiliation pour une reconnaissance virtuelle. Sans parler de la mise à nu, au sens propre et figuré, de stars de pacotille. Warhol était en dessous de la réalité… Franchement, moi, j'ai quoi à conquérir? Le marché des Kardashian? Ha, Ha, Ha! Quelle horreur! Cette perspective me donne plus envie d'aller vivre avec les fennecs, les animaux les plus timides au monde ou dans une grotte.

Invoquer le manque de chance pour un chef de l'État, c'est drôle, non?

Vous ne semblez pas trop aimer notre époque…
À mes débuts, je m'étais créé une famille bienveillante avec André Téchiné, Jean-Pierre et Anne- Marie Rassam, Roland Barthes. C'était une époque littéraire. Aujourd'hui, je vis malgré moi dans un magasin planétaire, à la merci d'un monde qui va reconditionner et diminuer nos capacités de vigilance. Il est prouvé que le QI des générations futures sera réduit. Le prix à payer pour vivre hyperconnectés? Non, cette modernité je n'y adhère pas. À l'avenir, je ne tournerai que dans des films en costumes [Elle rit.]. Un concept "juste taré", comme dirait mon fils.
Vous suivez l'actualité?
Oui, bien qu'elle s'apparente trop souvent à une pollution endocrinienne. J'ai trouvé la polémique sur le burkini ridicule et dangereuse. Je suis toujours mal à l'aise quand on veut imposer la liberté à coups d'interdits. On ne peut refuser à des femmes d'aller à la plage à cause d'une tenue, même si celle-ci relève d'un néofondamentalisme archaïque, et peut à juste titre choquer. Est-ce qu'on s'y prendrait autrement si on voulait attiser les antagonismes et rendre les positions respectives encore plus irréconciliables? Les politiques n'ont pas le bon lexique. Quand j'entends dire : "C'est la guerre" à propos de Daech… Non, c'est un groupe qui procède à des attaques criminelles, certainement pas un État. Cela revient à terroriser les gens, les radicaliser du côté du Front national. Non, la guerre, elle est plutôt dans la cause environnementale contre Monsanto and co et tous ces monstres sans visage contre lesquels les États sont totalement désarmés.
Dans un livre à paraître, François Hollande déclare à propos de son échec pour inverser la courbe du chômage : "J'ai eu tort, je n'ai pas eu de bol, en même temps j'aurais pu gagner"…
Questionne-t-il sa bonne étoile? Quand les engagements deviennent des promesses et les promesses des paris, invoquer le manque de chance pour un chef de l'État, c'est drôle, non? Comment dire? Au fond, la politique n'est peut-être plus une affaire sérieuse. On joue, on gagne, on perd… en attendant la revanche. Je me méfie des marchands de bonheur comme des marchands de catastrophes, ils ont la même recette : une potion qu'ils cherchent à nous faire avaler de gré ou de force, sans nous informer des effets secondaires.




Merci à Taz pour le lien

1 commentaire:

vincent a dit…

j'espère que le film est bon et qu'il aura de bonnes critiques.
sur l'itw, quelques redondances (Isabelle se répète pas mal d'une itw à l'autre)mais l'essentiel est de donner envie de voir le film !
ah oui, simple désaccord, pour moi le burkini n'est pas anodin et n'est pas qu'un bout de tissu comme on l'entend ici et là, donc pas d accord avec Isabelle sur ce point!

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